DÉBARQUEMENT 6 JUIN 1944
Le 6 juin 1944 est, aujourd’hui encore, une date ancrée dans les mémoires. L’occasion de faire le point sur pourquoi la date du débarquement est plus retenue que d’autres dates décisives de la seconde guerre mondiale
Sommaire
Date du débarquement : pourquoi elle est si marquante
Comme l’écrit Olivier Wieviorka (Histoire du débarquement en Normandie. Des origines à la Libération de Paris 1941-1944 (Points Histoire 2010) – voir notre page bibliographie, » Le débarquement du 6 juin 1944 se classe, sans hésitation, parmi les grandes journées de l’histoire. » Et, ainsi qu’il le relève, il y a incontestablement un avant et un après cette journée.
Pourtant, au soir du 6 juin 44, rien n’est joué. Certes, les Alliés ont installé une tête de pont, même si, loin s’en faut, les objectifs prévus n’ont pas été atteints. Les exemples ne sont par ailleurs pas rares, dans l’histoire, d’invasions finalement repoussées. D’autre part, ce n’est pas non plus la première fois que les armées de l’axe sont en difficulté : Stalingrad, l’année précédente, a marqué un tournant, et, depuis près d’un an, les Alliés ont pris pied en Sicile d’abord, sur la péninsule italienne ensuite.
Alors, d’où vient l’importance que la postérité attachera à cette date ? De nombreux facteurs sont sans doute à prendre en compte.
Une opération de grande ampleur
En premier lieu l’ampleur de l’opération. Overlord est en effet la plus gigantesque opération combinée (au sens où elle utilise tous les types de forces : aériennes, terrestres, navales) qui ait jamais eu lieu ; et elle le demeurera. 7500 avions, près de 7000 navires vont en effet permettre, pour la seule journée du 6, le débarquement (ou l’atterrissage) de 156 000 hommes.
Ensuite l’enjeu. Des deux côtés, on est bien conscient de ce qui va se jouer sur les plages du débarquement en Normandie. Les Alliés, qui ont en mémoire l’échec sanglant du raid sur Dieppe en 1942 (opération Jubilee), mais dont ils ont également su tirer les leçons, savent pertinemment que les premières heures ont toutes les chances d’être décisives, et qu’en cas d’échec, la possibilité du fameux second front (réclamé depuis longtemps par Staline) sera reportée à loin, et avec lui l’issue de la guerre. Dwight Eisenhower le dit à ses hommes : « Vous êtes sur le point de vous embarquer pour la Grande Croisade vers laquelle ont tendu tous nos efforts ces derniers mois. Les espoirs, les prières des peuples épris de liberté vous accompagnent ». En face, contrairement à son supérieur Von Rundstedt, Rommel est convaincu de l’impérieuse nécessité de repousser l’invasion sur les plages mêmes. On sait que ces controverses tactiques, comme plus tard, une fois le débarquement commencé, la lenteur des réactions de l’Etat-Major allemand, pèseront lourd dans la balance.
Enfin, pour nous, Français, cette journée revêtait un caractère hautement symbolique : pour la première fois depuis quatre longues années, même si l’on pouvait raisonnablement penser que le bout du tunnel se rapprochait, il était enfin permis d’y apercevoir la lumière, et d’envisager à échéance plus ou moins brève, la libération d’abord, puis la fin de la guerre, que l’on estimait sans doute alors plus proche. Ce sentiment pouvait d’ailleurs être partagé par nos voisins belges – qui, on l’oublie trop souvent, s’ils n’étaient pas présents le 06 juin 1944, participèrent malgré tout à la bataille de Normandie, dans laquelle la Brigade Piron combattit sous la houlette de la sixième division aéroportée britannique (celle de Pegasus Bridge, voir notre rubrique sur Les opérations aéroportées) à partir de début août. De même les Néerlandais (eux aussi présents : dès le six juin, des pilotes néerlandais engagés au sein de la RAF participent aux opérations aériennes ; des navires bataves sont présents dans la flotte d’invasion, et, plus tard, des unités terrestres, rattachées elles aussi à la 6e Airborne britannique et associées à la Brigade Piron, combattront début août pour libérer la Normandie), même s’ils sont plus éloignés du premier théâtre des opérations, ont pu avoir le sentiment que cette journée marquait le début du choc décisif qui ne manquerait pas d’aboutir, inéluctablement, au retour de leur liberté et à l’effondrement du IIIe Reich.
Voilà pour ce qui concerne la perception que les contemporains ont pu avoir de l’évènement en 1944.
Postérité et commémorations officielles
Ensuite vient la postérité, qui va influer de façon importante sur la façon dont les faits sont perçus aujourd’hui, notamment à travers l’image renvoyée par les commémorations officielles.
Rappelons tout d’abord que celles-ci n’ont pas toujours eu l’ampleur que l’on a pu connaître depuis le 40ème anniversaire. Le Général de Gaulle, on le sait, considérait Overlord comme une opération essentiellement anglo-saxonne, et n’a jamais honoré de sa présence une commémoration, pas même celle du vingtième anniversaire, qui intervenait pendant son mandat ; préférant valoriser la célébration du débarquement d’août en Provence, dans lequel la participation des armées françaises était massive et non symbolique. Plus tard, Valéry Giscard d’Estaing, peu à l’aise avec tout ce qui touche au second conflit mondial, s’abstiendra de participer au trentième anniversaire. Il faudra attendre François Mitterrand pour qu’enfin le 40ème anniversaire donne à ces commémorations l’éclat qu’elles méritent, en présence du Président Reagan (c’est la première fois que le Président des États-Unis en exercice fait le déplacement, signe, là-aussi, d’une évolution dans la perception de l’évènement outre-Atlantique), de la Reine d’Angleterre et de douze autres chefs d’État, dont bien entendu, ceux des pays directement concernés : Norvège, Belgique, Pays-Bas, Luxembourg. Même dimension pour le 50ème en 1994, en présence de Bill Clinton ; puis en 2004 avec Jacques Chirac et Georges W. Bush, et en 2014 avec François Hollande et Barack Obama, The Queen étant toujours fidèle – voir dans la rubrique « Informations et visites » l’article « Retour sur les commémorations ».
Représentations médiatiques et cinéma
Tout aussi influents sur la mémoire collective, si ce n’est davantage, que les commémorations officielles*, les représentations qu’en donnent les grands médias, et notamment le cinéma.
A cet égard, parmi les films entièrement dédiés, ou presque, au 6 juin 1944, deux doivent retenir notre attention.
Il faut sauver le soldat Ryan
Le plus récent, « Il faut sauver le soldat Ryan » (1998), de Steven Spielberg, s’il a le mérite de présenter sous un jour extrêmement dur – mais réaliste – l’assaut à Omaha beach, qui fut effectivement sanglant (« Omaha la sanglante« ), donne par ailleurs une vision pour le moins restrictive du D-Day, comme si le débarquement était exclusivement américain. Ajoutons que son argument est militairement fantaisiste : pourquoi demander à des hommes débarqués à Omaha beach – et non pas à Utah beach – de retrouver un para de la 101e Airborne, largué sur le Cotentin ? Reconstituer l’assaut sur Utah beach aurait évidemment été beaucoup moins spectaculaire. Il n’empêche, malgré son lot d’inexactitudes et d’invraisemblances, le film fut un succès considérable, glanant de très nombreuses récompenses, et contribuant donc à façonner chez les spectateurs une certaine vision de l’évènement.
Le jour le plus long
Cela est encore plus vrai pour LE film référence : « Le jour le plus long » (1962). La production de Darryl F. Zanuck eut la première le mérite de vouloir présenter la journée du 6 juin 44 dans sa totalité, avec un souci affiché de véracité, même s’il fallut bien faire des concessions à Hollywood. On peut aujourd’hui l’accuser d’avoir fabriqué « une mémoire de pacotille » (Jean Quellien), il ne mérite sans doute pas cette indignité, même s’il est vrai que, sur un certain nombre de points, la représentation de la mémoire collective doit davantage au film qu’à la réalité. (Ainsi, quand bien même il ne s’agit que d’un détail anecdotique : il y a aujourd’hui, sur le célèbre clocher de Sainte-Mère Eglise, dominant la place, un parachute et un mannequin accrochés, pour rappeler la mésaventure de Tom Steele (voir l’article qui lui est consacré dans « Les grandes figures US »). Si ce dernier a bien atterri sur le clocher cette nuit-là, cela lui est arrivé de l’autre côté, d’où il ne pouvait donc pas voir la place. C’est Darryl Zanuck en personne qui a estimé plus « cinégénique » d’opter pour cette modification, entérinée depuis dans le paysage !)
Un impact considérable
C’est que, là aussi, le film fut un succès considérable, dont il est difficile aujourd’hui d’imaginer l’ampleur. Lorsque, au bout de deux ans en moyenne après sa sortie, il commence à être projeté dans les petites salles de province, celles-ci rajoutent des séances supplémentaires en semaine, celles du week-end ne suffisant pas, et les salles sont combles à chaque fois ! En 1978, lorsque, enfin, l’ORTF se décide à le programmer à la télévision, seize ans après sa sortie, dans le cadre des « Dossiers de l’écran », l’audience est telle que les réseaux d’EDF n’y résistent pas.
Ainsi, en ces périodes qui ne connaissaient pas encore un déferlement d’informations en tous genres, ce long-métrage, porté par une distribution sans équivalent, réalisé avec l’aide de conseillers militaires dont certains furent des acteurs de premier plan du Jour-J lui-même (Philippe Kieffer, Lord Lovat, le Major Howard, le Général Gavin côté alliés, les généraux Pemsel et Blumentritt chez les Allemands) ne pouvait manquer de marquer durablement l’esprit de plusieurs générations.
* Sur ces problèmes de commémorations, souvenirs, mémoire et représentations collectives, on lira avec intérêt :
« La mémoire désunie« , le souvenir politique des années sombres, de la Libération à nos jours, d’Olivier Wieviorka, (2013) dans la collection Points Histoire (8,50 €), et
« Le chagrin et le venin« , Occupation, Résistance, Idées reçues, (2014) de Pierre Laborie, collection Folio Histoire (7,50 €).
6 juin 1944 : Chronologie des principaux évènements
Bien entendu, on ne saurait reprendre ici tout ce qui concerne la préparation du Jour J. Nous nous contenterons de la journée proprement dite, qui débuta par… la nuit, laquelle commence dans les dernières heures du 5.
Le 5 juin
21 h 15 : La BBC diffuse à l’intention de certains réseaux de la Résistance française le fameux message codé, seconde partie du vers emprunté à Verlaine : « blessent mon cœur d’une langueur monotone… »
22 h 00 : En Angleterre, le général Dwight Eisenhower, commandant en chef des forces alliées, s’adresse, juste avant leur embarquement, aux parachutistes de la 101e Airborne.
Le 6 juin 1944, Jour J
00 h 05 : Début du bombardement aérien de la côte normande.
00 h 07 : les premiers paras anglais de la 6e division aéroportée britannique, et américains des 82e et 101e divisions aéroportées touchent le sol français.
00 h 15 : les premiers planeurs britanniques atterrissent à proximité des ponts sur l’Orne.
00 h 21 : Les hommes du Major Howard, après un bref mais violent combat, prennent le contrôle de Pegasus bridge. La maison voisine, le café Gondrée, devient la première maison française libérée.
00 h 30 : Début du largage en Bretagne des paras du Spécial Air Service (dont 36 français libres).
00 h 40 : Emile Bouétard, parachutiste français des SAS, est abattu à Plumelec (Morbihan). Il est le premier mort du Jour J.
01 h 00 : le QG du maréchal Rommel à La Roche-Guyon est informé des mouvements des troupes alliées.
De 2 à 3 h : les radars allemands détectent l’arrivée de la flotte alliée.
02 h 30 : les paras anglais prennent Ranville.
02 h 40 : le maréchal Von Rundstedt, commandant en chef à l’Ouest, fait savoir à la VIIe armée allemande qu’il ne croit pas en un débarquement de grande envergure.
03 h 05 : les attaques aériennes débutent sur les batteries côtières d’Omaha et Utah Beach.
04 h 00 : atterrissage de la plupart des planeurs.
04 h 30 : Le lieutenant-Colonel Otway lance l’assaut sur la batterie de Merville, dont il se rend maître après une demi-heure de combat.
05 h 00 : Les hommes du 505e Régiment d’Infanterie Parachutiste prennent le contrôle de Sainte-Mère Eglise.
05 h 36 : Début du bombardement naval sur Utah Beach, Sword Beach et Omaha Beach.
05 h 58 : levée du jour.
06 h 00 : les avions alliés (dont le groupe Lorraine des Forces Françaises Libres), volant à basse altitude, déposent sur les plages un écran de fumée destinée à masquer la flotte d’invasion.
06 h 30 : début des assauts américains sur Utah et Omaha.
06 h 35 : Radio Berlin est la première à annoncer le débarquement, la nouvelle étant aussitôt reprise par les agences de presse du monde entier.
A Berchtesgaden, le Feld-Marechal Jodl refuse de libérer les réserves blindées réclamées par Von Rundstedt.
06 h 45 : à Omaha Beach, le débarquement tourne au bain de sang. La mer, glaciale, est très agitée. De nombreux matériels coulent à pic. Les pertes humaines sont considérables. La 1ère vague est clouée au sol, comme le sera la 2e, qui débarque à 7 h.
07 h 30 : Début de l’assaut sur Gold, Juno et Sword.
Les rangers du lieutenant-colonel Rudder s’emparent de la pointe du Hoc.
07 h 32 : Les hommes du commando Kieffer sont les premiers à débarquer à Sword beach
09 h 15 : Depuis son poste de commandement sur l’USS Augusta, le général Bradley songe à suspendre les opérations sur Omaha Beach et à ordonner un rembarquement.
09 h 30 : Les radios alliées diffusent le communiqué officiel d’Eisenhower annonçant le débarquement : « Sous le commandement du Général Eisenhower, des forces navales alliées, appuyées par de puissantes forces aériennes, ont commencé à débarquer les armées alliées ce matin sur la côte nord de la France ».
10 h 00 : Hitler est réveillé par son entourage, mis au courant de la situation, mais, doutant qu’il s’agisse bien DU débarquement, ne prend aucune décision concernant les réserves blindées.
10 h 15 : Rommel reçoit à son domicile allemand le premier rapport complet sur les évènements et décide de regagner son QG à La Roche-Guyon.
10 h 50 : Le commando Kieffer donne l’assaut au bunker du casino de Ouistreham, dont il s’emparera à 11 h 20.
11 h 00 : Alors que, sur la foi de rapports erronés émanant de la 352e division, le QG de la VIIème armée allemande pense avoir rejeté l’ennemi à la mer à Omaha beach, les premières bonnes nouvelles arrivent enfin de la plage.
La 4e division d’infanterie américaine, débarquée à Utah beach, fait la jonction avec les paras de la 101e Airborne
12 h 00 : à Londres, Winston Churchill s’adresse au parlement pour confirmer le débarquement.
13 h 00 : Lord Lovat atteint Pegasus Bridge pour relever le Major Howard.
13 h 30 : Le Général Bradley apprend que les troupes auparavant bloquées sur la plage d’Omaha progressent à l’intérieur des terres.
Dans l’après-midi, à Creully, jonction entre les troupes britanniques débarquées à Gold et les troupes canadiennes débarquées à Juno.
18 h 00 : Le général de Gaulle s’exprime sur les ondes de la BBC : « La bataille suprême est engagée ! C’est la bataille de France et c’est la bataille de la France ! »,
19 h 00 : La 21e Panzerdivision SS lance depuis Caen sa contre-offensive en direction de Sword et parvient presque jusqu’à Lion-sur-mer avant d’être finalement repoussée, après avoir perdu plus de 40 % de ses chars.
Au soir du 6 juin, on est très loin des objectifs initiaux, lesquels étaient : à l’ouest du dispositif, une avancée jusqu’à Picauville, à l’est, jusqu’à Cabourg et, au sud, la prise de Caen et une progression jusqu’au-delà de la Nationale 13.
Au lieu de cela, à l’ouest, les hommes de 82e, 101e et 4e Divisions ne tiennent que des poches isolées. La pointe du Hoc est elle aussi isolée, tout comme le secteur d’Omaha, où la tête de pont ne concerne que trois localités : Colleville, Saint-Laurent, Vierville. Dans le secteur Gold / Juno, les localités côtières ont été libérées, d’Arromanches à Saint-Aubin, mais les troupes ont dû s’arrêter avant la N 13, à quelques kilomètres de Bayeux. Dans le secteur de Sword, Langrunes, Luc-sur-mer comme Douvres-la-Délivrande se trouvent dans la brèche qui sépare du secteur de Juno ; en revanche, Lion, Hermanville, Colleville et Ouistreham ont été libérées, et les troupes ont avancé jusque Biéville et Le Bas de Ranville.